La sobriété, un mode de vie durable indispensable ?
L’enjeu majeur de notre monde pour les années à venir, est de parvenir à mettre en place une société permettant de répondre à nos besoins sans dégrader les écosystèmes et en limitant les effets du changement climatique.
Aujourd’hui, notre modèle de société est loin de correspondre à cet idéal de durabilité. Nous dégradons le climat, détruisons la biodiversité et les écosystèmes. Nous polluons les milieux avec de multiples substances. Nous épuisons les ressources minérales et fossiles de la planète… La communauté scientifique est unanime sur le fait qu’il y a urgence à inverser la tendance et qu’il faut aller vers plus de sobriété.
“La sobriété est fondamentale à court terme pour ouvrir le champ des possibles.”Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 2018
J’aime beaucoup le terme de sobriété car il englobe une démarche beaucoup plus large que le simple fait de devoir réduire nos émissions de CO2. Je ne remets pas en cause l’importance de réduire ses émissions de CO2, bien évidemment. Ce que je veux dire c’est que cette seule dimension n’est pas suffisante pour disposer d’un usage raisonnable des ressources de la planète sans en dérégler son fonctionnement. Il faut réduire massivement et rapidement notre impact sur l’environnement, et ce, dans tous les domaines : émissions de CO2, utilisation des matières premières, destruction des espaces naturels, impact sur la biodiversité,…
“Face au « toujours plus » qui ruine la planète au profit d’une minorité, la sobriété est un choix conscient inspiré par la raison. Elle est un art et une éthique de vie, source de satisfaction et de bien-être profond. Elle représente un positionnement politique et un acte de résistance en faveur de la terre, du partage et de l’équité.” Charte Internationale Pour la Terre et l’Humanisme, P. Rabhi, 2010
Un effort collectif
Mettre en place une démarche de sobriété doit s’appliquer à tous : chacun doit s’impliquer dans l’effort pour qu’il bénéficie à tous. La sobriété invite aussi à penser la question des inégalités, qui sont un enjeu fondamental de la transition écologique. Il devient plus difficile de justifier des modes de vie fondés sur une consommation exagérée (jet privé, voyage dans l’espace,….) et donc les écarts de revenus qui leur sont associés quand on cherche à réduire son empreinte sur la planète. La lutte contre les inégalités devient alors un point central des décisions collectives.
A l’heure actuelle, on peut considérer que c’est une question de survie de l’espèce, et pas seulement un appauvrissement de la société. C’est à mon sens indispensable à mettre en œuvre.
De plus en plus de déclarations politiques reconnaissent la nécessité de faire évoluer nos modes de vie, mais je constate qu’il est encore difficile de définir les changements à mettre en œuvre concrètement pour y aboutir. J’ai eu envie de consacrer un article à la notion de sobriété, pour essayer d’y voir plus clair.
La sobriété, qu’est-ce que c’est?
Le terme sobriété est utilisé dans de nombreux domaines. S’il peut définir son état d’ébriété en soirée, il est utilisé plus largement pour désigner un comportement ou une démarche simple, mesuré, sans excès. Loin d’être limité à un enjeu ou une finalité en particulier, la sobriété se décline dans tous les domaines où s’expriment des besoins et l’utilisation de ressources : la sobriété écologique est par essence globale et systémique. Ainsi, on parle beaucoup de sobriété énergétique en ce moment, du fait du contexte géopolitique avec la guerre en Ukraine, mais la sobriété écologique ne saurait se réduire à cet unique aspect.
Si certains ont peur que la sobriété se traduise par un repli sur soi et un retrait du monde, je pense au contraire que la sobriété ne peut trouver sa juste expression que dans l’action, tant individuelle que collective.
Les technologies vertes sauveront-elles la planète ?
Je suis une ingénieure, à l’esprit carré et scientifique. J’aurais aimer pouvoir dire que la technologie, les découvertes que la science fait tous les jours, pourrons nous sauver. Mais ce serait vous mentir.
Les énergies renouvelables, les technologies de recyclage ou encore les biocarburants sont régulièrement évoquées comme des solutions nous permettant de préserver notre mode de vie actuel en réduisant notre impact environnemental. Si certaines innovations semblent prometteuses, elles ne pourront être utilisées suffisamment vite et à large échelle pour compenser nos activités actuelles. Et il ne faut pas se leurrer, elles nécessitent elles aussi des matières premières, qui sont une denrée limitée sur Terre. Bref, rien n’est « zéro impact » : il y a toujours un impact carbone plus ou moins fort, et des conséquences environnementales variées.
Gare à l’effort rebond !
Il y a un autre aspect à prendre en compte quand on cherche à tirer partir des innovations technologiques. Alors qu’on pourrait penser que les optimisations réalisées permettent de diminuer notre empreinte, c’est en fait rarement le cas. Pourquoi ? Parce qu’on profite des optimisations pour utiliser plus de ressources.
Je vais vous donner quelques exemples. L’industrie automobiles optimise ses procédés de fabrication à chaque modèle, mais elle vend des voitures de plus en plus grosses (SUV). Les équipes informatiques optimisent les datacenters , mais nous consommons de plus en plus de datas (vidéo en ligne, objets connectés,…). J’achète une électricité plus propre, alors je fais moins faire attention à ma consommation… Résultat : je consomme autant sinon plus qu’avant… On parle ici d’effet rebond, un effet indésirable qui peut accompagner la réduction d’une pollution, et amener à ce que le résultat d’une action soit à l’inverse de son objectif initial.
Si vous voulez en savoir plus sur l’effet rebond je vous conseille l’article dédié sur Bon Pote.
Pour éviter cela, il faut se contraindre à une démarche volontaire de réduction de sa consommation. Cette illustration de l’effet rebond montre d’ailleurs qu’il est difficile d’associer transition écologique et augmentation de la consommation. Un concept pourtant au cœur de notre mode de vie moderne, qui vise la croissance économique continue, symbole d’une vie réussie.
Comment mettre en œuvre une sobriété efficace ?
Énergies, matières premières, eau, biodiversité… La sobriété est une démarche globale qui passe par le changement des habitudes et des modes de vie individuels.
Pour vraiment réduire notre impact environnemental, il semble inévitable de devoir à la fois améliorer notre efficacité écologique, notamment grâce à des alternatives techniques plus durables, et à la fois adopter des stratégies pour modérer notre consommation en énergie, en ressources ou en espaces naturels.
Si certaines personnes ont identifié de leur propre chef la nécessité de changer, force est de constater que le fonctionnement de la société moderne ne permet pas de généraliser ces initiatives personnelles à plus grande échelle. Il sera donc nécessaire de favoriser une évolution à travers la mise en place de régulation et de gouvernance politique pour avoir un plus grand impact.
Réguler et informer à grande échelle
Ces mesures politiques peuvent sembler contraignantes, et pour qu’elles soient acceptées, il me semble qu’elles doivent nécessairement s’accompagner d’informations et d’explications. Encore aujourd’hui, ces efforts sont limités. On pourrait par exemple saluer l’initiative de proposer une formation aux nouveaux députés en Juin 2022 par des spécialistes du climat et de la biodiversité. Mais cela reste encore très marginal. Finalement, ceux qui s’informent sont ceux qui se sentent concernés. L’information reste donc encore dans un cercle restreint de personnes qui disposent déjà d’un terrain propice au développement du changement.
Les démarches d’information doivent se multiplier à tous les niveaux de la société pour favoriser la sensibilisation aux enjeux de transformation. Ainsi une sobriété choisie plutôt que subie sera surement plus facile à mettre en œuvre. Cette action de communication, qui doit s’inscrire durablement pour être efficace sur le long terme, ne doit pas faire oublier l’urgence d’agir, à tous les niveaux de responsabilité. A commencer par ceux qui détiennent les leviers les plus décisifs pour créer les conditions d’une nouvelle donne (pouvoirs politiques, entreprises, personnes les plus riches,….)
Questionner son mode de vie
Modérer son niveau de consommation, cela revient à interroger ses besoin et le mode de vie associé. Il faut déjà avoir la possibilité, le temps de le faire. Il peut y avoir des situations individuelles, sociales ou familiales qui ne nous donnent tout simplement pas l’espace pour le faire dans son quotidien.
L’idée n’est pas non plus de rentrer dans une logique de privation systématique, et de refuser sans distinction toute forme de consommation ou toute innovation. Il s’agit plutôt de se demander de quoi avons-nous vraiment besoin ? Et comment peut-on répondre à ces besoins en adoptant une logique de limitation des consommations de ressources et d’énergie.
Par exemple, avant de vouloir remplacer sa voiture essence par une voiture électrique, on peut se demander pourquoi ne pas garder sa voiture actuelle tant qu’elle fonctionne. Et se demander si on en a vraiment besoin. Pourrait-on la remplacer par une mobilité plus verte : transport en commun, vélo, marche à pied… ? Pourrait-on limiter certains déplacements ? Opter pour du covoiturage ou de la location quand on a vraiment besoin de la voiture,…. Se poser ces questions, c’est entrer dans une démarche de sobriété. L’objectif n’est alors pas de chercher à maintenir par principe notre mode de vie actuel, mais de voir comment le transformer pour répondre à nos besoins de façon différente, en évitant les excès, en limitant notre impact environnemental.
Un autre aspect qui peut être difficile à appréhender c’est de connaitre les changements qui impacteront le plus notre empreinte. Par exemple : utiliser une paille en inox plutôt qu’une paille en plastique ne pas va changer radicalement votre empreinte. Alors, comment savoir ce qui aura le plus d’impact ?
J’ai envie de me lancer, je commence par quoi ?
On peut commencer par identifier son empreinte carbone individuelle, cela donne quelques bonnes bases de départ. Pour réduire son empreinte carbone individuelle, il faut avoir en tête quelques chiffres :
- L’empreinte carbone moyenne d’un Français est de 10 tonnes de CO2 équivalent par an et par individu,
- Pour contribuer à atteindre l’objectif de neutralité carbone à 2050 fixé par les Accords de Paris issus de la COP 21, il faut passer à 2 tonnes de CO2 par an et par individu.
NB : Concernant l’empreinte carbone des Français, vous trouverez plusieurs chiffres selon l’organisme et l’année (entre 8 et 12 t CO2eq). En moyenne je dis 10 tonnes car c’est facile à retenir. Gardez en tête que ce qui est important ici, ce sont les ordres de grandeur. Libre à vous de creuser pour mieux comprendre les calculs.
Ces chiffres sont bien évidemment une moyenne nationale. Une personne végétarienne qui se déplace en vélo n’a pas la même empreinte carbone qu’une personne qui part en voyage en avion tous les mois. C’est donc en fonction de votre propre empreinte carbone que vous devrez ajuster votre quotidien et faire des efforts, afin d’avoir un mode de vie soutenable.
Une proposition de simulateur d’empreinte carbone
Pour savoir quelle est votre propre empreinte carbone, vous pouvez utiliser le simulateur Nos Gestes Climat de l’ADEME. Certes, il fait des approximations mais il donne un vrai ordre de grandeur sur les domaines impactant votre empreinte carbone. Cela vous donnera une bonne base pour identifier les changements à effectuer pour diminuer votre empreinte.
Aussi, évidemment, les actions individuelles ne suffiront pas. Nous avons également besoin d’un changement systémique de la part de l’État et des entreprises. C’est par l’ensemble des changements individuels et sociétales qu’on y arrivera !
J’aurais envie de développer encore plus chacun des sujets évoqués ici, mais je crois que l’article est assez long comme ça !! J’espère en tant cas qu’il vous aura envie de vous questionner et d’aller plus loin. N’hésitez pas à donner votre avis, à poser vos questions en commentaires, toute discussion (bienveillante) est la bienvenue !